L’Église n’est pas une entreprise !
Après avoir défilé l’année dernière au cri de « le savoir n’est pas une marchandise, l’université n’est pas une entreprise ! », devrais-je écrire « l’Église n’est pas une entreprise » ? Il semble que oui.
En effet, différents articles / réactions que je lis sur internet vont dans le sens d’un soutien au mouvement ratzingerien de restauration, avec un argumentaire du type : « ceux que soutient Ratzinger produisent de nombreux prêtres ».
Deux exemples :
Sur le site de Golias, au sujet du mouvement de restauration de Mgr Aillet, évêque de Bayonne récemment nommé :
Pourvu que Mgr Aillet continue ses « turpitudes » ! Même pas un an de présence dans son diocèse et déjà ouverture d’une propédeutique avec sept postulants . Ah si tous les évêques pouvaient en faire autant ! Je pense que parmi ceux-ci, il y a beaucoup de jaloux et d’aigris ... Ce qui explique aussi les attaques contre Mgr Rey ! Et oui, quatre-vingt séminaristes !! A quand des objectifs de rentabilité pour l’Eglise de France ???
Et même dans la lettre du pape justifiant la levée des excommunications des évêques intégristes [1] :
Une communauté dans laquelle se trouvent 491 prêtres, 215 séminaristes, 6 séminaires, 88 écoles, 2 instituts universitaires, 117 frères, 164 sœurs et des milliers de fidèles peut-elle nous laisser totalement indifférents ? Devons-nous impassiblement les laisser aller à la dérive loin de l’Église ? Je pense par exemple aux 491 prêtres.
Deux remarques sur le sens de tels décomptes s’imposent d’abord.
Premièrement, ces décomptes ne tiennent compte, quasiment, que des clercs, et non pas des laïcs, oubliant que depuis Vatican II au moins, les ministres sont au services des laïcs, n’ont de sens que parce qu’il y a des laïcs.
En effet, les ministres qui sont revêtus d’un pouvoir sacré servent leurs frères, afin que tous ceux qui appartiennent au Peuple de Dieu et qui, par conséquent, ont vraiment la dignité de chrétiens tendent librement et de façon ordonnée vers le même but et parviennent au salut [2].
Que valent dix prêtres, si par leurs attitudes, ceux-ci amènent des laïcs à fuir l’Église ?
Ce qui m’amène à ma deuxième remarque : ni le Pape, ni ceux qui le suivent benoîtement (c’est le cas de le dire !) ne semblent se rendre compte que leur attitude de replis identitaires fait fuir des catholiques, soit vers d’autres Églises, soit vers l’absence d’Église. Rien que dans ma petite faculté de théologie protestante, je connais deux catholiques qui ont fuit à cause de ce mouvement de restauration.
Mais plus généralement, c’est cette question du chiffre qui est malsaine. Comme si l’Église se devait de faire du chiffre, « d’être rentable » pour reprendre le mot du premier commentaire.
D’une part, c’est oublier qu’en christianisme, la force n’est pas forcément celle que l’on conçoit en tant qu’humain.<bible|passage=2Co12,10>
Certes, la diminution, en occident du moins, du nombre de chrétien à de quoi nous interroger. Mais les chrétiens d’avant, ceux de l’époque de la chrétienté, étaient-il réellement évangélisés ?
A titre personnel, je pense qu’un athée réfléchissant par lui même agit plus en conformité avec le message du Christ qu’un chrétien qui écoute sans esprit critique ce qu’une hiérarchie lui dit [3] : Jésus n’a-t-il pas été crucifié parce qu’il contestait l’ordre religieux de son temps ? Or, dans l’Église Romaine, on a remplacé l’obéissance à la Loi par celle au Magistère. Fondamentalement, Jésus est a-religieux, voire anti-religieux.
D’autre part, c’est faire de l’Église son propre fondement et sa propre fin. C’est oublier que l’Église est « apostolique » : elle est envoyée, elle n’a pas son origine ni son but en elle-même. L’Évangélisation a pour conséquence l’accroissement du nombre de membre de l’Église, laïcs comme clercs, mais ce n’est pas son but. Le but de l’Évangélisation, c’est d’annoncer l’Évangile [4].
Citons ici les mots d’Hans Küng, dans son livre àŠtre chrétien [5].
Au cours du temps, elle [=l’Église, communauté de foi]] ne doit jamais se donner elle-même comme le contenu de la prédication, se faire sa propre propagande. Il lui faut plutôt détourner les regards d’elle-même pour les orienter vers la présence de Dieu, qui a déjà fait irruption en Jésus vivant et qu’elle attend, elle aussi, comme l’achèvement critique de sa mission. ( »¦)
Une communauté de foi qui oublie qu’elle est éphémère, provisoire, intérimaire, qui célèbre ses victoires qui sont au fond des défaites, est une communauté surfaite et contrainte à la démission parce qu’elle n’a aucun véritable avenir. Tandis qu’une communauté sans cesse consciente qu’elle ne trouvera son but en elle-même mais dans le royaume de Dieu, est capable de tenir à travers les vicissitudes de l’histoire : elle sait qu’elle n’a pas à ériger un système définitif, à proposer une patrie permanente, qu’elle n’a même pas à s’étonner, étant précaire, d’être assaillie de doutes, arrêtée par des obstacles, accablée de problèmes. C’est seulement si elle devait être la réalité définitive qu’il lui faudrait désespérer. Mais n’étant que provisoire, elle peut garder l’espérance ( »¦)
Enfin, on connaît les dégâts que ces objectifs de rentabilité ont produit dans le monde économique : suicides (France Telecom), crises économiques, sociales, écologiques, spirituelles. Benoît XVI les dénonce lui-même ces idées de rentabilisation dans sa dernière encyclique : pourquoi les appliquer à l’Église ?
Non, l’Église n’est pas une entreprise !