Tristesse et colère
Le résultat était attendu. Ce n’était donc pas une surprise. Et pourtant, quel mal être depuis hier soir !
J’ai finalement voté Jean-Luc Mélenchon. Je m’étais pourtant juré de voter pour mes convictions, c’est à dire, en l’espèce, pour Philippe Poutou, car je ne pouvais voter pour Benoît Hamon, qui, d’une part, était ambigu sur sa rupture avec le quinquennat, et d’autre part, allait investir, s’il avait été élu, des candidats aux législatives qui ont voté toutes les lois immondes de ce quinquennat. Alors désolé Benoît Hamon, tu étais sans doute un des rares socialistes pour qui j’avais un peu d’estime, avec Gérard Filoche. Mais ta stratégie politique était incompatible avec ton projet.
Je ne voulais pas voter Mélenchon, parce qu’issue d’une longue tradition politique, je ne supportais pas de voter pour un César ou un Tribun. Parce que la position sur la Syrie du candidat est insupportable, de même que son silence vis-à -vis de la répression de l’opposition dans certains pays d’Amérique Latine. Le même silence pudique que le PCF a eu vis-à -vis de l’URSS et qui fait que maintenant, lorsqu’on parle d’alternative au capitalisme, on nous renvoie systématiquement le stalinisme à la figure. Parce qu’aussi une grosse partie des supporters de Mélenchon ne supportent pas la moindre critique du candidat, ce qui n’est pas très encourageant en terme d’esprit critique, et d’éventuelle résistance future à ses dérives possibles.
Mais voilà : les derniers sondages aidant, je me suis dit que, puisque par ailleurs j’étais d’accord à 80 % avec Mélenchon, je pouvais voter pour lui, voter "utile" (Dieu que je déteste cette expression), dans l’espoir qu’il passe au second tour. Je ne l’ai pas fait en 2012 pour Hollande, car j’étais trop éloigné de lui. Je l’ai fait également par haine des grands médias, qui ne trouvaient pas inquiétant que l’héritière directe des collaborateurs arrive au second tour, mais qui se sont mis à hurler lorsqu’un candidat qui était simplement mitterrandien (et encore) a commencé a percé, qui tous les jours pointent le "danger musulman", et s’étonne après que le FN fasse des scores aussi haut.
Hier soir je voulais hurler de colère
De colère contre Hamon et Mélenchon qui n’ont pas su établir un "consensus différencié" quitte à tirer au sort le nom du candidat. De colère contre ces deux candidats, qui n’ont pas pu comprendre les petits points qui faisaient qu’on ne pouvait voter pour l’autre. 10 % d’un positionnement politique, mais 10 % déterminants.
De colère contre Hollande, qui par son immense trahison n’a fait qu’accroître la précarité, et donc le vote Le Pen. Ce n’est pas que Hollande a échoué à mener une politique de gauche : c’est qu’il a délibérément mené une politique de droite.
De colère contre EELV et ses députés, qui n’ont pas voté contre les politiques économiques horribles de ce gouvernement, mais se sont abstenus, ou pire, ont voté les budgets.
De colère enfin contre l’appareil du PS, qui a accompagné toutes les dérives libérales de ce gouvernement, qui a préféré pointer le "danger Mélenchon" plutôt que le danger Le Pen, qui pendant 15 ans a usé de la rhétorique du "vote utile" et qui a refusé de l’appliquer lorsqu’il a compris que cela ne s’appliquerait pas à son candidat
De colère contre moi, contre ma lâcheté, bien à l’abri en Suisse à faire ma thèse, à me contenter de commentaire sur twitter et une fois où l’autre de faire un petit coucou dans les manifs françaises.
Que faire dans l’immédiat ?
Je ne jette pas la pierre à Jean-Luc Mélenchon qui ne donne pas de consigne de vote. C’est cohérent avec la manière dont il conçoit son mouvement, même si, contrairement à ce qu’il dit, il a d’abord décidé d’être candidat avant qu’un mouvement le porte.
J’ai moi-même dit hier que je m’abstiendrai. Parce que la politique de Macron sera celle de Hollande en pire, et que cela fera monter à nouveau le FN. Parce que Macron est un horrible type qui n’a que le fric en tête, qui n’a rien compris à la beauté de ce monde, à la beauté de l’art, de l’amour, du ciel étoilé. Parce que Macron est un type qui a craché sur l’idée de démocratie représentative non pas dans une perspective libertaire, mais dans une perspective technocratique. Parce que Macron, c’est le capitalisme dans toute son horreur.
Et puis j’ai commencé à décanter. Et Le Pen qu’est ce que c’est ? C’est Macron (économiquement) plus la chasse aux sans-papiers dix fois pire, plus la répression politique dix fois pire. Il n’a qu’à voir comment s’est déroulé le scrutin à Hénin-Beaumont, avec des journalistes empêchés de le couvrir.
Sous Le Pen, il me semble difficile de reconstruire une gauche. Pas impossible, mais difficile. Je vois la situation lorsque l’extrême droite arrive au pouvoir par les urnes en Turquie, en Pologne, en Hongrie : les droits fondamentaux sont bafoués, que ceux soient les droits sociaux ou politiques. Et impossible de faire lâcher prise.
Alors il faut que l’autre sale type, l’artisan de la politique de Hollande et donc de la hausse du FN, soit président.
Imaginons en effet que Le Pen soit présidente. Elle pourrait ne pas remporter les législatives. Mais elle ne manquerait pas de dissoudre l’Assemblée Nationale au bout de quelque temps, par exemple après une élection intermédiaire avec un FN haut. Et dans cas, elle arriverait au pouvoir. Le Pen président = FN au gouvernement, tôt ou tard. Et alors la répression politique qu’on a connue sera encore pire. Sans compter que c’est envoyer à la mort encore plus certaine les demandeurs d’asile et les immigrants.
Et dans ce cas, adieu la gauche pour un bout de temps. Et chaque minute compte dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Et puis, si Le Pen n’est pas présidente, il reste un espoir que la justice révèle au grand jour ce qu’elle est : une femme qui s’enrichit sur le "système" qu’elle prétend dénoncer.
Reste à savoir de combien Macron doit remporter la présidentielle.
- Avec un vote serré, on coupe le bec à l’argument du FN anti front-républicain. Mais on lui donne une plus forte légitimité.
- Avec un vote fort, Le Pen pourra hurler au complot contre elle »¦ et donc grossir encore plus ses scores.
En ce qui concerne la légitimité de Macron. Un haut score lui dirait : "tu n’es pas élu à cause de ton projet" - »“, mais Chirac n’en a pas tenu compte en 2002 »“ un score plus limité signifierait : "on est pas dupe de ton projet, on sait que ta politique va faire augmenter le FN". Dans tous les cas, Macron, en bon capitaliste, l’interprétera comme cela l’arrangera.
Le pourcentage final n’a donc à mon sens que peu d’impact sur les reconfigurations politiques futures. La part d’abstention non plus (les décideur·eus·es s’en fichent, une fois qu’ils sont élu·e·s), la rhétorique pro-abstention n’étant que le revers de rhétorique citoyennistes/votantes.
Du coup, nous sommes dans une théorie des jeux : décider de son comportement en fonction du comportement supposé des autres participants. S’abstenir sil l’on considère que Le Pen ne passer pas, voter Macron si l’on pense qu’elle risque de passer.
Oui, mais voilà , j’aime les jeux qui fonctionne sur ce principe, lorsqu’il s’agit de passer une bonne soirée avec des ami·e·s. Mais pas lorsque la vie de personnes est en jeux. Et malgré les dégâts immenses que fera la politique de Macron, ceux de Le Pen seront pires, car ils concerneront non seulement les précaires socialement en France (car Le Pen, comme Macron, est la candidate des riches), mais aussi les migrants, de manière bien plus forte.
Alors, je ne prends pas le risque d’avoir Le Pen au pouvoir, même si j’ai déjà perdu.
Alors, avec mal au ventre, colère et honte, je voterai Macron.
Mais je comprends ceulles qui ne pourront s’y résigner. Et je ne chercherai pas à les convaincre, car cela ne ferait qu’exacerber les tensions au sein de la gauche (c’est à dire ceux qui ont lutté contre la loi travail). Or, plus que jamais, l’heure est à l’unité de ceux qui ne se résignent pas à voir l’appât du fric l’emporter sur la solidarité et sur la survie de l’humanité.
Les législatives
Car, quelle que soit le ou la future présidente, il lui faudra remporter les élections législatives. Or, pour peu que la France Insoumise continue sa dynamique, elle peut remporter certains sièges. Et Macron n’est pas certain d’avoir une majorité. Une alliance avec la branche gauche du PS, qui j’espère aura scissionné d’ici là , est possible, sur le modèle portugais. à‡a sera dur, il faudra passer l’éponge sur nos torts mutuels, ne pas se renvoyer mutuellement la responsabilité de la défaite, mais c’est la seule solution possible.
Et quel que soit le résultat des législatives, il faudra continuer à lutter ensemble. Dans la rue, dans les usines, dans les universités, par la construction de coopérative et de réseaux d’échanges locaux, par le vote si possible.
En 1934, face au danger fasciste, les militants SFIO et PCF ont crié "unité, unité !" et de là est né le Front populaire. Ne laissons pas les rancœurs liées au mode de scrutin débile de la présidentielle et au système absurde de la cinquième république nous diviser.
Ce serait leur donner une nouvelle victoire.