La Vague

J’ai été voir le film « La Vague ». Je vais essayer d’en faire un commentaire.

Cet article n’est à lire que si vous avez vu le film (hormis la partie « synopsis »).

Synopsis

Aujourd’hui, en Allemagne, un prof organise dans le cadre d’un cours sur l’autocratie [1] un jeu de rôle. Il installe une discipline militaire dans sa classe, crée un mouvement qui sera baptisé « La Vague », qui aura son propre système de propagande, son service d’ordre, son leader »“ le prof. Très vite cependant ce dernier est dépassé.

Le film est dit inspiré d’une histoire vraie qui s’est déroulée aux Etats-Unis dans les années 60.

Critiques de presse

Elles sont assez variables. Le Monde lui donne une mauvaise note :

( »¦) une assez grossière démonstration et une balourde mise en garde sur les dangers d’une renaissance possible du fascisme aujourd’hui, dans une société industrielle démocratique qui pense en avoir évacué l’éventualité. Les gros sabots et la vision politique plutôt stupide du film en rendent évidemment le message improbable. Où trouvent-on encore de si faibles esprits en quête de discipline grégaire ? ( »¦)

Le canard enchaîné

Certes la démonstration est un peu appuyée, mais voilà une piqûre de rappel utile, efficace et évidemment toujours d’actualités

Analyse des personnages

Les traits sont clairement grossis. Ce sont des archétypes. Cependant on peut noter des évolutions.

Karo

« L’héroïne » du film ; elle suit le mouvement au début, mais le quitte rapidement, pour deux raisons : d’une part le nom adopté ne lui convient pas : elle a proposé « Les réformateurs » [2], mais un vote décide pour « la Vague ».

Ce qui me permet une première remarque : en allant au bout du système, pourquoi le nom du mouvement a-t-il été décidé démocratiquement ? Si le choix du leader c’est fait par vote, c’était assez logique : pour lancer le jeu de rôle. Mais une fois choisi, celui-ci aurait dû imposer en toute logique son choix de nom.

La seconde raison de son départ est son refus de porter l’uniforme du mouvement, une chemise blanche.

Ouvrons un excursus sur l’uniforme. Beaucoup de métier ont un uniforme. Certains mouvements aussi, comme certains scouts, tout au moins la chemise pour ce qui concerne les scouts de France. Notons toutefois que, chez ces derniers les chemises sont personnalisés : l’uniforme n’est pas tant uniforme que cela. De plus il n’est pas ni permanent, ni imposé.

Un débat a lieu régulièrement pour savoir s’il faut imposer l’uniforme à l’école, les arguments les plus classiques étant « gommer les disparités sociales », et « éviter le racket ». L’uniforme ne s’attaque qu’aux effets visibles des disparités sociales, pas à leurs causes. Et le racket peut s’exercer sur d’autres choses que des vêtements. Refermons l’excursus.

Bref, c’est lorsque quelque chose qui touchait l’identité, la manière dont cette fille se comprenait, qu’elle est entrée en résistance. Sans doute, nombreux sont ceux qui rentreraient en résistance contre un régime dictatorial [3] que lorsque quelle que chose qui les touche personnellement est atteint.

C’est à la fois une faiblesse et une force de tout système dictatorial. Faiblesse, car s’attaquer à ce qui touche à notre plus intime, à notre identité peut créer des réactions impressionnantes. Force, parce que justement, tant qu’on ne touche pas à l’intime, on ne crée pas facilement de mouvement de résistance. Comment ne pas penser à ce poème de Martin Niemà¶ller ?

Lorsqu’ils sont venus chercher les communistes
Je me suis tu, je n’étais pas communiste.
Lorsqu’ils sont venus chercher les syndicalistes
Je me suis tu, je n’étais pas syndicaliste.
Lorsqu’ils sont venus chercher les sociaux-démocrates
Je me suis tu, je n’étais pas social-démocrate.
Lorsqu’ils sont venus chercher les juifs
Je me suis tu, je n’étais pas juif.
Puis ils sont venus me chercher
Et il ne restait plus personne pour protester.

Son copain

Peu de choses à dire. Il se met à résister quand il s’aperçoit que la vague détruit son couple. Là encore, c’est quand quelque chose de l’ordre de l’intime, du soi est touché que le personnage entre en résistance.

Le petit frère de Karo

Il décide d’entrer dans la Vague pour une raison simple : cela lui permet d’accéder à un skatepark, que les membres de la Vague monopolisent. Mais une fois engagé, le petit frère n’y va pas de la main morte : c’est lui qui prend l’initiative d’interdire l’accès à certains lieux aux non membres de la Vague.

Peut-on réellement souscrire à un système de type totalitaire pour obtenir de simple avantage ? Bien sûr, vu l’âge du gamin, l’accès au skatepark doit être quelque chose d’important. Mais a priori, rien ne l’obliger à obéir à l’injonction d’adhérer : il devait sans doute disposer de moyen de protestation. D’autant plus que, même en souscrivant au mouvement, il n’était pas obligé de s’y intégrer autant.

En revanche, son enthousiasme est typique de celui de « nouveau converti » à quelque mouvement que ce soit, politique ou religieux. Il n’y a rien de pire qu’un nouveau converti.

La résistante de la première heure

Elle s’était inscrite aux cours sur l’autocratie, mais très vite elle le quitte. Elle est présentée comme une personne « engagé à gauche » dès le début : témoin son explication de pourquoi telle marque de chaussure est peu chère : « parce qu’elle fait travailler des petits enfants » [4]. Bref, c’est quelqu’un qui avait déjà des idèes arrêtés sur la question. Mais justement, pédagogiquement, le film n’aurait-il pas dû, pour aller au bout de sa logique, ajouter un personnage semblable à celui-ci, mais qui adhère au mouvement ?

Elle se dispute avec Karo sur le tract de propagande anti-Vague : peut-on utiliser des mensonges, même pour servir une cause juste ? Karo pense que non.

Que dire de ce personnage ?

L’homme fort

Je parle du costaud qui joue le service d’ordre dans la dernière scène [5]. D’après sa copie sur l’expérience de la Vague, il a pu trouver dans ce mouvement une place qui lui convient.

Les systèmes fascistes se nourrissent-t-ils des déceptions des gens ? C’est ce que le film laisse entendre par le dernier personnage [6] que je vais commenter.

Le suicidé de la fin

Il n’avait rien avant : ni réseau social, ni relation avec sa famille. La Vague lui a tout apporté, raison pour laquelle il se suicide lorsqu’il comprend qu’elle ne continuera pas.

Les régimes autoritaires se nourrissent-ils de frustrations personnelles ? Voire naissent-t-ils de telles frustrations ? On a souvent souligné le fait qu’Hitler était un artiste raté. Mais tous les artistes ratés ne finissent pas dictateur, ni même avec une vocation de dictateur.

Le prof

Il est dépassé par le cours des choses, et ne comprends pas le désarroi du précèdent, alors même que celui-ci lui demande « pourrai-je être devant vous lorsque vous ferez votre discours », lui dénonce un camarade, et va même jusqu’à se prendre pour le garde du corps du prof.

En même temps, on a l’impression qu’il est grisé par l’expérience. Mais est-ce parce qu’il est adulé, comme le prétend sa femme, ou parce qu’il voit que ses théories »“ une nouvelle dictature est possible en Allemagne aujourd’hui »“ est validée ?

Les autres

On pourrait dire bien des choses sur d’autres personnages : la fille un peu enveloppée, qui adhère au mouvement par jalousie vis-à -vis de Karo, celui qui quitte le cours au début, mais qui y retourne ensuite »¦ Malheureusement, contrairement à une exégèse d’un texte biblique, je doit me fier entièrement à ma mémoire »¦ ce qui ne facilite pas le commentaire.

Une tel chose est-t-elle possible ?

Je ne sais pas »¦ sans doute pas sous cette forme là , mais sous une forme proche, peut-être.

Rappelons nous l’expérience de Stanley Milgram, à la suite de la déclaration de Eichmann à son procès « J’ai obéi ».

Milgram propose dans son laboratoire, à des volontaires, une expérience. Il s’agit d’affliger des décharges électriques d’intensité croissante à un individu, pour une « expérience scientifique ». Les volontaires voient l’individu souffrir, ou plutôt faire semblant, puisque, bien sûr, aucun courant n’est injecté. Sur 636 volontaires, 65 % ont obéi aux ordres, même les plus extrêmes. Combien de plus obéiraient s’ils ne voyaient pas la souffrance ?

Car l’obéissance simplifie la vie. Elle évite de se poser des questions. La liberté est source d’angoisse, d’inquiétude. Dans un extrait du Nouvel Obs, distribué dans le cinéma où j’ai vu le film, le réalisateur du film explique que les acteurs qui jouaient les chemises blanches lui ont déclaré : « qu’ils avaient pris du plaisir à faire partir d’un groupe et à suivre les ordres, sans décider de rien ». Inquiétant, non ?

Conclusion

Un film qui me semble utile de voir. Qui inquiète un peu : est-ce possible ? Le caractère stéréotypé des personnages nous invite à penser que non. Mais justement, n’est ce pas lorsque l’on s’attend le moins à un danger qu’il est le plus dangereux : « la Tentation, c’est qu’il n’y est pas de tentation » aurait dit Luther. De plus le caractère stéréotypé des personnages est « normale » pour ce genre de film : il s’agit en effet d’un récit didactique, qui grossit forcément les traits par conséquent.

Notes

[1le terme ad hoc serait plutôt « dictature ». L’exemple pris est celui du troisième Reich. Le terme « autocratie » renvoie plutôt à un régime autoritaire de type Russie tsariste. Mais qu’en est-t-il en allemand ?

[2Evidemment, quand j’ai vu cela, j’ai tout de suite pensait à Luther et consorts.

[3Je suis bien incapable de dire qu’elle serait mon action dans de telles situations. Je ne peux qu’espérer.

[4Ce qui n’est pas forcément faux en soi.

[5Malheureusement, je ne me rappelle plus son prénom.

[6Hormis le prof.