L’Église vieille catholique
Je publie ici un la version longue d’un article destiné à être publié dans Lutin et Calvaire. Mes remerciements à Bernard Vignot pour ses conseils, remarques et relectures.
à€ la faculté de théologie protestante, on aime me qualifier de catholique romain. Comme pour rappeler que l’Église dont je suis membre n’a pas le monopole de la catholicité, et c’est vrai : oui, théologiquement on peut »“ et on doit, dire, que les Églises issues de la réforme sont catholiques.
Mais catholicité n’est pas catholicisme. Alors que la première est un attribut théologique de l’Église « universelle », le catholicisme est une fraction du monde chrétien »“ comme le protestantisme ou l’orthodoxie en désigne une partie. Qu’entend-je par ce terme de catholicisme ? D’une part, j’entends qu’il s’agit d’un christianisme occidental, même s’il a pu s’exporter sur d’autres continents. D’autre part, je le distingue, à l’intérieur du christianisme occidental, du protestantisme [1] :
- En ce qu’il a une conception « haute » de l’Église et des sacrements. De l’Église, dans le sens où la structure de l’Église, notamment son caractère épiscopale, est considérée comme faisant partie de sa nature. Des sacrements dans le sens où ceux ci ne sont pas seulement des « béquilles » pour la foi (cf. Calvin), mais bien des « vecteurs » de la grâce. Au sens également où il retient les sept sacrements fixés au Concile de Latran IV en 1215.
- En ce que l’eucharistie joue un rôle central dans le culte et la vie spirituelle, plus que la prédication [2].
- En ce qu’il conçoit la succession apostolique non seulement comme succession dans la foi des apôtres (comme le protestantisme) mais aussi comme la suite des consécrations d’évêques depuis les apôtres.
- En ce que la question du salut n’est pas autant mise en valeur. La justification par la grâce au moyen de la foi est considéré comme un article de doctrine, mais n’est pas « articulus stantis vel cadentis ecclesiae » [3] (Luther).
- En ce qu’elle n’est pas issu des mouvements de réforme du XVIème siècle, même si ces mouvements l’ont modelé « par réaction ».
La tentation serait grande de réduire le catholicisme au catholicisme romain, et pourtant il existe des Églises qui font partie du catholicisme tout en n’étant pas romaine, car ne se rattachant pas à l’autorité de l’évêque de Rome. Ces Églises ne peuvent être qualifiées de protestantes.
La plus importante, la plus structurée, et sans doute « la plus sérieuse » [4] est l’Église vieille-catholique, connue en suisse sous le nom d’Église catholique chrétienne [5]. En France, elle est très peu présente (cinq paroisses : en Alsace, en Normandie, dans le Nord et à Paris ainsi qu’une fraternité par internet pour la diaspora [6] peut-être cent cinquante membres), mais en Suisse elle dispose de trente-trois paroisses, et on la retrouve aux Pays-Bas, en Allemagne, Australie Autriche, République Tchèque, Pologne, Croatie, Italie, Suéde et Danemark [7]. A proprement parler, il s’agit d’une union d’Églises indépendantes mais coordonnées entre elle par la conférence des évêques vieux catholiques [8], dont le président est l’archevêque vieux-catholique d’Utrecht.
Pour en comprendre la spécificité, il faut remonter à son histoire. En 1723 un conflit éclate entre Rome et la communauté catholique d’Utrecht (Pays-Bas), proche de la mouvance de Port-Royal. Les chanoines veulent élire un évêque »“ il n’y en avait plus depuis la Réforme, mais Rome s’y oppose. Ils élisent quand même Cornelius Steenoven, qui est ordonné par Dominique Varlet, évêque missionnaire de Babylone suspendu par Rome, ce qui leurs valent l’excommunication [9]. L’Église Catholique-romaine du clergé vieil-épiscopal est née.
Au cours du 18ème siècle, Rome tente de renforcer son pouvoir sur les Églises « nationales », qui étaient relativement autonomes (mouvement gallican en France, joséphiste en Allemagne etc.). Durant le 19ème siècle, elle y arrive, notamment avec la promulgation en 1854 du dogme de l’Immaculée Conception et en 1870 celui de l’infaillibilité pontificale. Mais cette centralisation n’est pas du goût de tout les catholiques. A partir de 1871 des « dissidents » excommuniés pour refus du dogme de 1870 s’organisent. L’archevêque vieux catholique d’Utrecht propose de les aider, notamment en ce qui concerne les sacrements. [10]
En 1889, est créée l’Union d’Utrecht. Sa déclaration de principe :
- rejette les dogmes récents du XIXème (Immaculée Conception [11] et Infaillibilité pontificale).
- rejette les actes papaux qui tendent à affirmer son autorité, notamment en ce qui concerne le jansénisme. C’est le cas du Syllabus, des Bulle Unigenitus et Auctorem Fidei
- Rejette les canon disciplinaires du Concile de Trente. En accepte les canons dogmatiques « pour autant qu’[ils] concordent avec les doctrines de l’ancienne Église. »
- Affirme l’importance centrale de l’eucharistie. [12]
- Explique qu’il s’agit d’un acte de retour à la foi de « l’Église indivise », selon le principe de Vincent de Lérins : « est catholique ce qui est cru partout, toujours et par tous ». Et exprime son espoir que cette réforme permettra l’union des Églises.
C’est donc cette union que l’on désigne couramment sous le nom d’Église vieille-catholique. Mais cet adjectif « vieux » ne doit pas être compris comme synonyme de « conservateur » ou « réactionnaire ». Il s’agit simplement d’affirmer le souhait d’un retour à la primitive Église. Mais ce retour n’est pas blocage dans le passé, mais appui pour avancer vers l’avenir.
Par bien des aspects, l’Église vieille-catholique est très progressiste par rapport à l’Église catholique Romaine. Dès 1877, certaines des futures Églises membres ont adopté les langues vernaculaires pour la liturgie. Aujourd’hui, la plupart des Églises membres de l’union acceptent l’ordination des femmes et le mariage des prêtres. Les questions d’éthiques, notamment sexuelle, sont traitées de manière ouverte : « L’avortement, l’homosexualité, le concubinage ou la contraception ne font pas l’objet de discussions polémiques. » [13]. En Suisse, les couples de même sexe peuvent recevoir une bénédiction. L’organisation de ces Églises est de type épiscopo-synodal et les laïcs y jouent un grand rôle. Même si l’ordination confère le pouvoir de célébrer l’eucharistie, et donc met « à part » les ministres ordonnés [14], les prêtres et les évêques sont élus par les fidèles, qui participent à la plupart (l’ensemble) des grandes décisions engageant l’église.
Signalons aussi que cette union est très investie dans le domaine œcuménique. Depuis 1931, elle est en communion avec l’Église anglicane, ce qui permet l’échange de ministre et l’inter-communion eucharistique. Elle est également membre fondatrice du Conseil œ’cuménique des Église. Et dès 1889, l’idée œcuménique fait parti de sa déclaration : « Nous espérons qu’en se tenant fermes aux croyances de l’Église indivisée, les théologiens réussirons à provoquer une entente sur les divergences nées des schismes. Nous exhortons les ecclésiastiques placés sous notre direction à enseigner, en chaire et en catéchisme, en premier lieu les vérités chrétiennes essentielles communément professées par toutes les confessions séparées, d’éviter sans scrupule toute transgression de la vérité et de la charité dans l’exposé des divergences encore existantes et d’inciter, par la parole et par l’exemple, les fidèles de nos paroisses à se comporter envers les autres croyants selon l’esprit de Jésus-Christ notre Sauveur à tous. » (art. 7).
A titre de conclusion personnelle, je dirais que l’Église vieille-catholique est ainsi que ce que de nombreux catholiques romains, attachés à la forme catholique du christianisme (et ne pouvant pour cela devenir protestant) « progressistes » souhaiteraient que leur Église soit : une Église ouverte au monde d’aujourd’hui, plus démocratique, laissant plus de voix aux laïques. Une église loin des polémiques déclenchées par le pape en 2009. Une Église qui ne condamne, mais annonce la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu. Pourquoi ne la rejoigne-t-il pas ?
En ce qui me concerne, la raison est simple : ma foi et ma vie ecclésiale, je les vis dans ma paroisse, dans mon diocèse, pas dans ce que l’évêque de Rome et la Curie disent. Et puis on n’abandonne pas une barque »“ qui se prend pour un navire - qui vous a conduit à Jésus-Christ, même si on n’est pas d’accord avec toutes les orientations de cette barque. Malgré ses défauts, je resterai reconnaissant à l’Église Catholique Romaine, y compris ses institutions, de m’avoir transmis la foi, ce « baiser d’amitié de Jésus » [15].
Ps : le numéro de lutin et calvaire est sorti : http://lutinetcalvaire.com/Lutin-et-Calvaire-8.html