Arithmétique électorale...

Lors de la soirée électorale de dimanche [1], j’ai entendu Nicolas Dupont-Agnan protester à la radio que le seuil de 5% d’inscrits empêche des partis d’avoir des députés.

Auparavant, le PRG, qui n’a pas présenté de liste, a tout de même publié un clip TV pour protester contre le mode de scrutin, qui défavorise selon lui les petites listes.

Qu’en est-il ? Rappelons que le scrutin des européennes est depuis la réforme de 2003 organisé en « circonscriptions » géographiques, auxquelles sont attribués un certain nombre de sièges, et dans chaque circonscription, la répartition se fait entre les listes qui ont obtenu plus de 5% des voix [2] selon la méthode de la représentation proportionnelle avec répartition des sièges restants à la plus forte moyenne (ouf !).

Pour ceux pour qui c’est du chinois, j’ai fait une petite explication dans la documentation d’un plugin SPIP développé pour l’occasion.

Voyons donc ce qu’il en est.

Le problème des circonscriptions

Il me semble que du point de vue du sens politique, le découpage en circonscriptions est une aberration. Il laisse entendre que les députés sont des représentants non du peuple Français, mais d’une fraction de ce peuple [3], d’autant plus que les découpages ne correspondent géographiquement pas à grand chose, aucunes régions « historiques », mis à part l’àŽle de France. Bien sûr, dans l’idéal, il me semble qu’il faudrait un scrutin européen, et non pas la juxtaposition de vingt-sept scrutins nationaux.

Le PRG prétend qu’un tel système empêche la présence des petits partis. Il me semble qu’il faut un sacrer culot pour affirmer ceci ! En effet, ces européennes ont vu la multiplication de petites listes anecdotiques. Ce qui est assez logique : il est plus facile de présenter vingt-six ou vingt candidats dans une circonscription que 72 [4] sur toute la France.

Bien sûr, il peut y avoir quelques listes avec un « trop plein » de candidats dans une circonscriptions dans une région, et un « trop peu » de candidats dans un autre. Cependant, il me semble qu’il n’y ait pas de règles interdisant le parachutage. L’argument me paraît faible.

En revanche, il est vrai qu’une telle méthode diminue le poids des petits partis au niveau de la répartition des sièges. En effet, pour prendre l’exemple de l’IDF, avec seulement treize sièges à pourvoir, et en supposant qu’on ne tiennent pas compte du seuil de 5%, le quotient électoral, on aurait un quotient électoral de 100 / 13 ≃ 7,7 % des voix.

A contrario, sur un scrutin avec une circonscription nationale de 72 députés donnerait un quotient électoral, toujours sans tenir compte du seuil de 5 % 100 / 72 ≃ 1,4 % des voix.

Conclusion (partielle) : si un « petit parti » réunit assez de candidats pour se présenter dans une circonscriptions unique de dimension nationale, alors, en l’absence de seuil, il aura plus de chance d’avoir des élus que s’il présentait des candidats dans toute les circonscriptions multiples.

Quel parti aurait-pu se présenter dans une circonscription nationale ?

Si j’en crois Wikipédia, les listes qui se sont présentées dans toutes les circonscriptions ont obtenus les scores suivants :

Listes s’étant présentées dans toutes les circonscriptions
Liste Score
UMP 4 798 921
PS 2 837 674
Europe-ecologie 2 802 950
Modem 1 455 225
FG 1 114 872
FN 1 091 681
NPA 840 713
Libertas 826 269
AEI 625 220
DLR 304 769
LO 206 119

J’ai fait une simulation de la répartition des sièges en scrutin avec une circonscription nationale

Résultats
ListeVoix%Sièges
UMP 4 798 921 28,39 22
PS 2 837 674 16,79 13
Europe Ecologie2 802 950 16,58 12
Modem 1 455 2258,61 6
FG 1 114 872 6,605
FN 1 091 681 6,46 5
NPA 840 713 4,97 3
Libertas 826 269 4,89 3
AEI625 220 3,70 2
DLR 304 7691,80 1
LO 206 119 1,220

Et si on garde encore le seuil des 5% [5]

Résultats
ListeVoix%Sièges
UMP 4 798 921 28,39 25
PS 2 837 674 16,79 15
Europe Ecologie2 802 950 16,58 15
Modem 1 455 2258,61 7
FG 1 114 872 6,605
FN 1 091 681 6,46 5
NPA 840 713 4,97 0
Libertas 826 269 4,89 0
AEI625 220 3,70 0
DLR 304 7691,80 0
LO 206 119 1,220

Ceci dit, un tel calcul me semble contestable, dans la mesure où l’on ne sait pas comment se seraient répartis les voix dispersées sur les listes non nationales.

L’influence du seuil de 5%

Comme je l’ai dit plus haut, même en l’absence du seuil de 5 %, avec le système de circonscriptions, les petites listes sont de facto éliminées de la représentation.

En revanche, avec un scrutin national, comme on le voit dans la seconde simulation, le seuil de 5% joue un plus grand rôle [6]..

Répartition au plus fort reste ou à la plus forte moyenne ?

On peut lier la moyenne d’une liste, au moment de l’attribution du premier siège restant, à son nombre de voix selon la formule suivante :

où tronc() désigne la fonction de troncature à zéro décimale, et ou a désigne le quotient électoral (nombre positif).

La courbe d’une telle fonction ressemble à cela [7].

Evolution de la moyenne en fonction du nombre de voix

En revanche, on peut lier le reste d’une liste à son nombre de voix par la formule suivante.

Ce qui donne une courbe avec cette tête-là  :

Evolution du reste en fonction du nombre de voix

Trois remarques sur ces courbes :
  Beaucoup d’effets de seuils
  Globalement, le scrutin à la plus forte moyenne privilégie les listes les plus fortes, puisque plus x est grand, plus la moyenne à des chances d’être grande
  Toutefois, il y a beaucoup de hasard, puisqu’il suffi d’un faible nombre de voix pour se retrouver au dessus ou en dessous d’un seuil.

Si le système de répartition au plus fort reste est « neutre » vis à vis de la taille des listes, il a cependant un défaut : en augmentant le nombre global de sièges, une liste peut en perdre, ce qu’on appelle le Paradoxe de l’Alabama.

J’imagine ce qui se serait passé, si les européennes fonctionnaient selon le système du plus fort reste, lors de la désignation des nouveaux eurodéputés prévus par le traité de Lisbonne [8].

Conclusion générale

Le système électoral pour les Européennes permet à de nombreuses petites listes de se présenter. En revanche, il défavorise l’élection des candidats de telles listes. Le seuil de 5% à franchir, étant donné le peu de siège par circonscriptions, joue un rôle négligeable.

Quant à la répartition de sièges restants après la première distribution, le système de la plus forte moyenne avantage globalement les plus fortes listes, mais évite le paradoxe de l’Alabama.

Annexe

Je ne résiste pas à la tentation de vous faire tester mon dernier né de plugin SPIP.

Je vous propose donc de faire vos propres simulations, avec le cas de l’IDF ou encore celui d’une hypothétique circonscription nationale, en jouant sur les effet de seuils, le nombre de sièges, le type de répartition, voire même une éventuelle prime majoritaire.

Pour avoir les résultats, rendez-vous sur le site du ministère de l’Intérieur.

J’espère qu’Ouvaton tiendra le coup, sinon j’exporterai ce formulaire sur un autre serveur.

Circonscription nationale

Circonscription IDF

Notes

[1Dont je ne commenterai pas les résultats, d’autres l’on fait avant moi.

[2Malheureusement, j’ignore si ces 5% sont arrondis à la voix inférieure ou supérieure.

[3C’est d’ailleurs à mes yeux un problème similaire pour les législatives, le problème cependant d’un système proportionnel est que dans un régime parlementaire, ou semi-présidentiel, il favorise l’instabilité gouvernementale, mais ceci est une autre question.

[4Voire 144 puisque sur chaque liste il fallait avoir le double de candidats que de postes à pourvoir.

[5En fait, j’ai triché, car je n’ai tenu compte ici que des voix des listes mentionnés, et je n’ai pas prit celle de la catégorie « autre ».

[6On peut discuter de l’opportunité et de la légitimité d’un tel seuil, mais ce n’est pas ce que je cherche à faire ici

[7J’ai pris ici comme valeur de quotient électoral la valeur donnée pour ma simulation sur un scrutin national, mais a étant toujours positif, cela ne change pas grand chose à l’allure générale de la courbe.

[8Si tant est que le Traité entre en vigueur.