À toi, Jo

À toi Jo, mon parrain,

Toi qui n’étais ni un grand lecteur, ni un intellectuel, toi qui, comme beaucoup de montagnards vivant de l’industrie du ski, était dans le deni du changement climatique ; toi qui étais mon parrain, moi qui n’ai jamais été un manuel, ni un sportif ; toi qui par bien des aspects étais mon exact contraire.

Qui auraient pu imaginer, à nous voir, toute la tendresse et l’affection que je te portais, moi qui n’ai jamais su l’exprimer ? C’est toi qui m’as appris à apprécier ces deux planches étranges fixées à mes chaussures ; c’est toi qui m’as offert ma première paire de chaussures de randonnée, me faisant découvrir le plaisir des beaux paysages ; toi qui m’as offert cette magnifique BD, Alan, alors que j’étais enfant, prélude à une collection que je n’ai cessé d’agrandir en devenant adulte. Et c’est avec toi que j’ai découvert, enfant, cette étrange fascination pour la technique et les réseaux, alors que je collectionnais les plans de pistes et dessinais des télécabines sur les murs, tout en me passionnant pour la différence entre remontées mécaniques débrayables et non débrayables. Et à toutes les grandes étapes rituelles de ma foi chrétienne, tu étais là , toi mon parrain avec qui je n’ai pourtant jamais parlé de foi.

La maladie, cancer de la gorge, t’a attaqué alors que j’avais à peine dix ans — je ne me rappelle plus quand exactement. Ton visage abîmé, ta voix difficilement compréhensible, qui m’ont marqué enfant. Et par la solidarité de tes collègues moniteurs, tu as pu conserver ton plaisir de pratiquer le ski, et de transmettre ta passion. Pendant près de vingt ans, tu a pu continuer. Et puis il y a quelques années, le corps et la souffrance t’ont rattrapé, si bien que tu ne cessais d’aller d’hospitalisation en hospitalisation. Il y a quelques jours à peine, je t’ai revu. Tu étais diminué, squelettique et même moi je n’arrivais plus à te comprendre. Tu ne correspondais plus à aucun critère de réussite de la société, mais moi je voyais en toi la dignité d’une vie remplie, d’une vie féconde, d’une vie faite de partage et de diffusion. Et si je pouvais deviner ta souffrance d’un corps meurtri, je voyais en toi une beauté cachée.

Tu as franchi il y a peu une dernière étape de la vie terrestre. Moi, je te pleure à chaudes larmes, car ta mort me replonge dans ce passé si différent et pourtant si proche de ma propre enfance ; car notre altérité me fait découvrir encore plus mon identité. Mais ma tristesse se calme, car je sais que pour toi la douleur d’une vie sans ski, toi qui vivais par et pour ce sport, a pris fin. Et car je crois, j’ai la conviction, que, ta vie a été un beau témoignage de cette affirmation : ni la mort, ni la vie, ni le présent, ni l’avenir, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ (Romains 8, 38-39*).