Victoire pour le service public !

La SNCF a été condamnée pour un retard d’une demi-heure sur un train Paris-Melun. Inutile de vous dire qui est derrière l’affaire, le nom même de ce blog l’indique. Mais consultez quand même le jugement, ce n’est pas long : simplement quatre pages.

J’ai fait la bêtise de lire les réactions sur les forums de Libération.fr. C’est à désespérer : entre les discours populistes du type : « de toute façon les avocats ne veulent que s’en mettre plein les poches » et ceux du type « il faudrait faire des procès aux syndicats », il y a de quoi désespérer de notre pays. Heureusement que ces forums ne sont pas représentatifs (quoique »¦ je n’ose pas me poser la question en fait).

Toutefois, en dehors même du fait qu’il s’agisse ici de mon père, je considère ce jugement comme une bonne nouvelle.

Il rappelle que la SNCF à une obligation de respect des horaires. Certains ont dit : « il faut avoir un QI faible pour ne prévoir qu’un quart d’heure de battement entre deux trains » [1]. Cela me paraît aberrant, c’était d’ailleurs l’argument de la SNCF dans ce procès, et elle a perdu en appel. Un quart d’heure pour changer de quai dans la même gare, fût-ce la gare de Lyon, c’est un délai raisonnable. Envisager plus de temps, c’est considérer comme normal que la SNCF fournisse des trains en retard [2]. C’est accepter la dégradation du service public.

Loin d’être une condamnation des actions syndicales, comme certains droitistes [3] le laisse entendre, cette victoire confirme les propos des syndicats.

Dois-je rappeler, que, hormis en 2007 et en 2010, les grèves des syndicats de cheminots portent essentiellement sur la dégradation des moyens de la SNCF ? Diminution du nombre de cheminots, de l’entretien des voix, priorité donnée non au service public mais au service commercial [4] etc.

Ce jugement confirme la mission prioritaire de la SNCF : « faire rouler des trains » et les faire arriver à l’heure. Non pas pour faire rouler des trains, mais rendre pour un service public, en l’occurrence en faisant rouler des trains [5].

En cas de conflit entre personnes, par exemple entre un usager de service public et une entreprise censée être ce service public, il existe plusieurs voies de résolution du conflit :
  La voie amiable : la SNCF l’a refusée.
  La voie de pression : il est difficile d’exercer un boycott sur la SNCF, qui a le monopole des trains de voyageurs en France. De plus, cette voie serait contre-productive, étant donné que la question en jeu est justement ce statut de service public de la SNCF : se tourner vers un éventuel concurrent reviendrait à considérer que le transport des voyageurs n’est pas un service public, puisque n’importe qui pourrait l’assurer.
  La voie violente : éliminer l’adversaire ou lui nuire. Mais encore une fois, il y aurait, en l’espèce, contradiction entre les moyens et le but poursuivi : il ne s’agit pas de détruire la SNCF, mais de la « forcer » à être ce qu’elle doit être : un service public assurant le transport des voyageurs en France [6]
  La voie judiciaire : c’est la voie choisie. Tous ne l’auraient pas forcément fait, la plupart auraient renoncé, mais ce jugement ouvre la voie, espérons que d’autres suivront, afin que la SNCF, à force d’avoir des procès, réfléchisse sérieusement au moyen qu’elle affecte à sa mission »¦

Oui, ce procès est une victoire de l’esprit du service public : la SNCF n’a pas à penser en terme de rentabilité, mais en terme de service rendu. S’il faut investir plus pour que les services soient corrects, par exemple pour éviter des erreurs d’aiguillages, et si cela doit diminuer ses profits, et bien qu’on le fasse ! [7]

Cette semaine le service public a remporté une victoire !

Maigre, faible, précaire, cette victoire doit se consolider. Une solution : l’alternance en 2 »‰012 [8], afin d’investir massivement dans les services publics et dans l’embauche de fonctionnaires, de serviteurs du bien commun. Et puis aussi d’autre procès, si on doit en arriver là  »¦

Ps : Il est évident que le juge, à lire le jugement, ne se posait pas la question de la mission de service public de la SNCF. C’est moi qui interprète ainsi.

Notes

[1Je cite à peu de mot près une réaction sur les forums du Parisien.

[2Je ne parle pas ici des cas de force majeure, par exemple présence d’un dinosaure sur les voies.

[3Le terme « gauchiste » existe bien, alors pourquoi pas le terme « droitiste » ?.

[4Comme l’atteste par exemple le souci de la SNCF de vendre des TGVs aux États-Unis.

[5Il ne s’agit donc pas de confondre le but et le moyen, au risque d’arriver à des dérives selon lesquelles tout est acceptable, du moment que les trains roulent.

[6Je ne parle pas seulement du transport des travailleurs, contrairement à une cheminote que j’ai rencontrée cet été, car le rôle de la SNCF dans les congés payés me semble vital, d’ailleurs rappelons que la SNCF a été créée en 1936 en même temps que les congés payés. La vie ne se limite pas au travail, le service public de la SNCF ne devrait pas se limiter seulement au cadre du travail.

[7Je cite un article parlant de 2006, soit avant la crise. Les profits de la SNCF ont diminué depuis. Pour autant, n’aurait-il pas été plus judicieux en 2006 d’investir dans des moyens humains et techniques, notamment dans les petites lignes ?

[8Et je parle d’une vraie alternance, pas de l’arrivée à la présidence de la République d’une personne qui est aujourd’hui à la tête d’un organisme dont l’obsession semble de diminuer l’investissement des États dans les services publics, si vous voyez de qui je veux parler.